Hurloir, 2012
Video installation, variable dimensions
“We should have
the ability to scream for fifteen minutes at least a day; we should even create
hurloirs (screaming rooms) for this
purpose. [...] A mode of expression of our blood, screaming [...] raises us,
strengthens us, and sometimes heals us. When we have the happiness to indulge
ourselves to it, we feel at once close to our ancestors, who must have been
roaring incessantly in their caves, all of them, including those who smeared
the walls. At the antipode of those happy days, we are forced to live in so
badly organized a society that the only place where we can scream with impunity
is the psychiatric asylum. [...] If we set any value to a minimum balance, let
us take to screaming.”
Cioran, « The Danger Of Wisdom »,
in The Fall Into Time
« Nous
devrions avoir la faculté de hurler un quart d'heure par jour au moins; il
faudrait même que l'on créât à cette fin des hurloirs. [...] Mode d'expression du sang, le hurlement [...]
nous soulève, nous fortifie, et quelques fois nous guérit. Quand nous avons le
bonheur de nous y adonner, nous nous sentons d'emblée à proximité de nos
ancêtres, qui devaient dans leurs cavernes rugir sans cesse, tous, y compris
ceux qui en barbouillaient les parois. A l'antipode de ces temps heureux, nous
sommes réduits à vivre dans une société si mal organisée que le seul endroit où
l'on puisse hurler impunément est l'asile d'aliénés. [...] Si nous tenons à un
minimum d'équilibre, remettons nous au cri. »
Cioran, « Les dangers de la
sagesse »,
in La chute dans le temps
* * *
In our modern societies, the street can be seen as the
counterpart of the psychiatric
asylum as defined by Cioran. In the past few months the streets of many cities worldwide have become
the theater of revolts, insurrections and even radical revolutions, -
expressions of the weariness of social injustice, economic exploitation and
political repression. Millions of citizens
were – and still are – the actors of these spectacular and desperate outbursts
of anger. The silent video installation Hurloir
highlights faces of women and men shouting during the hundred of manifestations
having taken place recently in numerous countries. All the original pictures
are taken from the Internet, the symbol and medium per excellence of the global awareness that another world is
possible. Proposing a reflection on the
screaming as an expression of social, physiological or ethic anxiety, this
installation is dedicated to these
anonymous heroes of modern times, thinking global but screaming local for their rights.
The pictures were taken during the year 2011 in the
following countries: Egypt, Syria, Senegal, Spain, France, Burma, Russia,
Libya, Ivory Coast, Greece, Romania, Israel, Iran, Tibet, the United Kingdom,
Sweden, the United States and Yemen.
Dans nos sociétés modernes, la rue peut-être
considérée comme le pendant du hurloir
selon la définition de Cioran. Ces derniers mois, les rues de nombreuses villes
du monde sont devenues le théâtre de révoltes, d’insurrections, voire de
révolutions – expression de l’exaspération face aux injustices sociales, à
l’exploitation économique et à la répression politique. Des millions de
citoyens ont été – et sont encore – les acteurs de ces explosions
spectaculaires et désespérées de colère. L’installation vidéo silencieuse Hurloir met en lumière les visages
d’hommes et de femmes criant durant les
centaines de manifestations ayant eu lieu récemment dans de nombreux pays.
Toutes les photos originales sont tirées d’internet, symbole et média par
excellence de la prise de conscience globale qu’un autre monde est possible.
Proposant une réflexion sur la place et le rôle de l’individu dans les
mouvements de masse, sur la portée du hurlement comme expression d’un malaise
social, physiologique ou éthique, cette installation est dédicacée à ces héros
anonymes des temps modernes, pensant globalement mais hurlant localement pour leurs droits.
Les photographies ont été prises durant l’année
2011 dans les pays suivants: Egypte, Syrie, Sénégal, Espagne, France, Birmanie, Russie, Libye,
Côte-d’Ivoire, Grèce, Roumanie, Israël, Iran, Tibet, Royaume-Uni, Suède, Etats-Unis
et Yémen.
Text:Delphine Marinier/Translation: FM
Exhibition "The Dangers Of Wisdom",
11th May 2012 @stattberlin
A propos du Hurloir,
Par Nicolas
Oltramare
Avec le Hurloir, Delphine Marinier poursuit son
travail de collecte des petits riens insolites dont elle fait ici une œuvre
inspirée du philosophe Cioran. Entre ses mains, internet n'est plus qu'un
imbroglio de puzzles brisés dont l'artiste trie et assemble les pièces
jusqu'à ce qu'elle parvienne à en reconstituer un motif insoupçonné. A
partir de photos de manifestations de tous pays qu'elle y a glanées, l'artiste
nous propose une installation silencieuse sur le thème du cri et du hurlement.
Dans ces mouvements de masse contestataires, elle isole des individus en train
de crier, dont les portraits, soudain renvoyés à leur solitude, se succèdent
dans la salle obscure. Silence d'autopsie où disparaissent les revendications
et la colère de ces cris figés, coupés de leur source et de leur but, vidés de
leur voix et qui semblent maintenant des masques de souffrance posés sur de l'ombre.
Qu'est-ce qu'un cri ? Une évidence s'impose : c'est un spasme du visage tout
entier; tantôt il transfigure l'homme en une sorte de héros dont la
combattivité atteint son paroxysme ; tantôt il le défigure, ne montrant de lui
qu'une bête aux abois. Le cri est un défi, mais l'installation évacue la simple
contestation sociale pour faire ressortir une lutte plus fondamentale : sous
ces cris de révolte, c'est un long hurlement qui ne s'achève jamais, un
hurlement qui reste coincé dans la gorge de ces masques pétrifiés, réduits à
l'état de pixels, et se perpétue d'une image à l'autre. Le hurlement est
métaphysique. L'artiste nous offre à voir ce cri impossible à proférer ou à
entendre, à travers des variations en noir et blanc autour de la bouche
d'ombre, la bouche tordue, défigurée par on ne sait quelle lutte, variations
autour d'une béance, universelle, qui gomme les différences de pays, de couleur
de peau ou d'époque. Le Hurloir de Delphine Marinier semble réunir tous
ces hommes et toutes ces femmes sur les mêmes cimes du désespoir.
Nicolas Oltramare, Mai 2012